Lucrèce Borgia

Fille d’un très puissant cardinal, on lui témoignait grande considération et elle s’attira très vite de multiples compliments sur sa beauté juvénile et sur sa grâce qui n’étaient pas tous usurpés. Blonde aux yeux clairs, fluette et fragile d’apparence, elle avait de l’esprit et un sens de la répartie qui fût très vite relevé par les chroniqueurs.

 

 

Ses Origines

La famille des Borgia est originaire de la région de Valence. Le père de Lucrèce, Rodrigue Borgia, dernier né d’une maison pourvue de quatre filles se consacra, par vocation, à la carrière ecclésiastique.

 

Il progressa rapidement en devenant tour à tour secrétaire du Roi Alphonse d’Aragon, puis son ambassadeur à Rome. Devenu cardinal à moins de trente ans, il plaît aux femmes et lie une longue passion amoureuse avec Vannozza Cattanei dont il eut plusieurs enfants.

 

C’est probablement à Subiaco, en avril 1480, que naquit Lucrèce. Elle passa son enfance dans le couvent des dominicaines de Saint-Sixte. De là lui vinrent sans doute la sincérité totale de ses sentiments religieux, de son amour pour la prière, les chants sacrés, le parfum de l’encens.

Lucrèce

lucrece borgia

Fille d’un très puissant cardinal, on lui témoignait grande considération et elle s’attira très vite de multiples compliments sur sa beauté juvénile et sur sa grâce qui n’étaient pas tous usurpés. Blonde aux yeux clairs, fluette et fragile d’apparence, elle avait de l’esprit et un sens de la répartie qui fût très vite relevé par les chroniqueurs.

 

Comme toutes les filles nobles de l’époque, elle apprenait les humanités, avait un goût prononcé pour les langues et se plaisait à danser, à lire et à écrire des poèmes.

 

Erudite et bien faite de sa personne, elle devient à treize ans, un beau parti. C’est alors que tout va basculer dans sa vie de jeune princesse, car son père décide de se servir d’elle pour conforter, par son mariage, son tissu d’alliances au sein des principautés italiennes qui sont perpétuellement en conflit : Venise, Milan où les Sforza ont remplacé les Visconti, la Toscane des Médicis, Naples où les Angevins ont été renversés par les Aragonais. Sans oublier Mantoue, Ferrare, Gènes et les nombreuses interventions du roi de France Charles VIII ou des Habsbourgs dans les affaires italiennes.

 

La Papauté est elle-même à la tête d’un vaste territoire qui s’étend de part et d’autre de la Péninsule.

Le premier mariage

Après bien des hésitations et des retournements de situation, c’est le parti français et des Milanais qui l’emportent au début et Lucrèce se trouve mariée, par procuration, le 2 février 1493, avec Giovanni Sforza. Bien entendu, les époux sont trop jeunes pour que ce mariage soit consommé immédiatement et c’est ce prétexte qui servira, quatre années plus tard, lorsque, à l’occasion d’un nouveau retournement de situation, Rodrigue choisira de la donner en mariage à Alphonse d’Aragon, duc de Bisceglie.

 

Le Milanais des Sforza est allié au Roi de France, alors que, tout naturellement, le roi Ferrante d’Aragon est l’allié du roi d’Espagne et de l’Empereur d’Allemagne.

 

L’intervention du roi de France Charles VIII qui veut défendre l’héritage des Angevins à Naples, puis de Louis XII qui veut venger les Visconti contre les Sforza dans le Milanais, sont des ondes de choc très importantes dans la politique pontificale.

 

Ces interventions obligeront Rodrigue Borgia, devenu le pape Alexandre VI, à changer de posture au gré des victoires ou défaites de chacun.

 

Le rapprochement entre les Borgia et les Napolitains du roi Ferrante d’Aragon eut lieu dès le mois d’août 1493, par le mariage de Jofré, le dernier des trois frères de Lucrèce  et de Sancia d’Aragon, fille naturelle du roi de Naples.

 

Le très jeune mari de Lucrèce, Giovanni Sforza, craignant sans doute pour sa vie, regagna rapidement le Milanais. Ce fut le premier drame pour la jeune fille.

 

Sancia, la brune, avait un tempérament espiègle et bien trempé. Son inclination pour les deux grands frères de Lucrèce, Juan et César Borgia fût l’occasion de faire un premier amalgame entre ses agissements et ceux de Lucrèce dont elle était l’amie.

 

En 1497, Giovanni Sforza devenait encombrant pour Alexandre VI, qui voulait remarier Lucrèce à l’un des fils du roi Ferrante. Pour s’en débarrasser, on tenta de l’empoisonner, mais Lucrèce l’ayant prévenu, il prit la fuite pour se réfugier dans la ville de Pesaro, dont il portait le titre de comte.

 

Furieux, le Pape le somma de revenir à Rome. Ulcérée par les agissements de son père, Lucrèce se réfugia dans le couvent Saint-Sixte pour se recueillir, avant que son père envoie des troupes pour l’obliger à revenir au Vatican.

 

Dès lors il proposa à Giovanni, soit de revenir à Rome auprès de sa femme, et sans doute de se faire trucider, soit d’accepter le divorce.

 

Lucrèce fût contrainte de signer un texte infamant pour elle, puisque la non consommation du mariage fut prise comme prétexte. Comment a-t-elle pu accepter, autrement que sous la contrainte, d’admettre qu’après quatre ans de mariage, elle n’avait jamais passé une nuit d’amour avec son mari.

 

Giovanni Sforza se précipita à la cour de Milan et fit courir le bruit de rapports incestueux entre Lucrèce Borgia, son père et son frère. On ne sait pas quelle a pu être la réaction de la jeune femme qui se voyait ainsi accusée d’un péché épouvantable.

 

L’assassinat de Juan, son frère aîné, ne fut jamais élucidé, mais il plongea définitivement son père dans une quête digne de Machiavel. Sa fille serait désormais un atout de sa politique.

Le second mariage


Il proposa le mariage de Lucrèce au second fils du roi Ferrante, ce qui lui permettait de souder une alliance définitive avec le parti espagnol. Cependant, Lucrèce a eu une aventure amoureuse avec un certain Pedro Caldès qui lui donna un enfant si on en croit certains chroniqueurs.

 

En apprenant cette liaison qui contrariait sa politique, Alexandre décida l’exécution de ce trublion dont le corps fût retrouvé pieds et poing liés, dans le Tibre.

 

On ne sait si Lucrèce a aimé ce Pedro, mais sa disparition constitue pour elle un nouveau drame.

 

Le mariage avec Alphonse d’Aragon, eût lieu à Rome en juillet 1498. Ce prince avait, comme Lucrèce, dix-huit ans. Ils prirent le titre de duc et duchesse de Bisceglie.

 

Les deux jeunes gens semblent avoir eu une inclinaison l’un pour l’autre et dix mois plus tard, Lucrèce donna naissance à un fils connu dans sa courte histoire sous de nom de Rodrigue de Bisceglie (mort en 1512).

 

Cependant, une fois de plus, l’Histoire allait bouleverser la vie de Lucrèce. Louis XII, nouveau roi de France, avait besoin de l’appui du Pape pour déclarer la nullité de son mariage avec la fille difforme de Louis XI. Il désirait en effet s’unir avec l’ancienne reine de France et cousine, Anne de Bretagne, afin de garder la belle province sous son contrôle.

 

Pour ce faire, Louis XII combla César, le frère de Lucrèce, de tous les présents et lui fit miroiter la conquête de la Romagne. Louis XII, petit-fils de Valentine Visconti, réclama l’héritage du duché de Milan et fit la guerre à Ludovic le More qui fut battu en juillet 1499 et emprisonné.

 

La chute des Sforza à Milan et la crainte de voir le parti français triompher, provoqua une nouvelle tragédie. Le jeune mari de Lucrèce en fût la victime.

 

Le 15 juillet 1500, Alphonse quitta sa tendre épouse et sa demi-sœur Sancia pour se rendre dans ses appartements. C’est alors que des spadassins à la solde de César Borgia l’attaquèrent. Il se défendit mais, grièvement blessé, il fut transporté dans le salon où Lucrèce conversait avec sa belle-sœur et son père.
Il eut le temps de fournir le nom du coupable avant de trépasser. Lorsqu’elle l’apprit, Lucrèce s’évanouit avant de se reprendre rapidement au point que les chroniqueurs osèrent prétendre qu’elle était complice de cet attentat.

 

Bien entendu, ce n’est pas par jalousie que César fît assassiner le mari de sa sœur, mais pour complaire au parti français.
Après deux semaines d’un profond chagrin, Lucrèce a admis que son frère avait agi pour le bien de l’état. Elle n’était certainement pas dupe de ses dénégations mais craignait aussi pour sa propre sécurité.

Le troisième mariage

Un mois à peine après la mort de son mari, des tractations furent entamées avec le duc de Ferrare. Ce dernier avait besoin de la protection du Pape contre les Vénitiens au nord et les agissements des Français qui occupaient le Milanais. Le 16 août 1501, le contrat de mariage entre Lucrèce et Hercule d’Este fut signé.

 

Dès lors, Lucrèce put espérer vivre au calme, dans ce duché qui l’éloignait enfin des intrigues du Vatican. C’était sans compter, sur de nouveaux événements qui ébranlèrent la jeune femme.

 

Elle dut faire face à la jalousie de sa belle-sœur, Isabelle d’Este qui, avant son arrivée, régnait sur la cour de Ferrare et sur celle de Mantoue, mais le pire était à venir.

 

Un soir de l'été 1503, s'étant invités chez le cardinal Adriano Castelli pour dîner à la fraîche, Alexandre VI et César Borgia sont pris de malaises. Son père va succomber et son frère en réchapper.

 

Pour Lucrèce, c’est à la fois un drame familial, mais aussi, plus terrible encore, un drame tout court. Son mariage, objet d’un jeu politicien, ne sert plus à rien pour le duc de Ferrare. Elle devra désormais composer avec son mari qui devient duc en 1505, à la mort de son père et qui n’a que mésestime pour sa femme qui a une réputation usurpée mais fâcheuse.

La duchesse de Ferrare

Lucrèce disparaît alors de l’Histoire car il n’y a plus de ragots infâmes pouvant salir sa vie exemplaire jusqu’à sa mort survenue à Ferrare le 24 juin 1519 à trente-neuf ans.

 

Durant ses dix-huit années passées à Ferrare, aucun chroniqueur n’a pensé à cette jeune femme, belle, érudite, pleine d’esprit. Elle a échangé des lettres avec les plus grands poètes de son temps. Le plus grand, le plus beau, Pietro Bembo avec qui elle aura durant des années un amour platonique, fait d’allusions, d’échanges de regards et de missives qui font vibrer leur cœur.

 

Lucrèce est d’une sagesse incroyable. Docile en apparence, elle se méfie de sa fougue naturelle et de la jalousie de son mari qu’elle domine au niveau de l’esprit.

 

Elle tremblera souvent lorsque la guerre se rapproche de Ferrare. Elle versera une larme en apprenant la mort de son terrible frère César, lors d'un siège, le 12 mars 1507 alors qu’il essaie de se tailler une principauté en Emilie Romagne.

 

Son mari jaloux, se venge du rayonnement de son épouse avec la seule arme que peut utiliser un homme à cette époque. Elle passera sa triste vie à être enceinte. Elle mettra au monde sept enfants dont deux filles mort-nées, en 1507 puis le 21 juin 1519.

 

Victime d’une septicémie, à l’issue de ce dernier accouchement, Lucrèce rendit l’âme 3 jours plus tard. Elle est enterrée dans la cathédrale de Ferrare, mais nul tombeau à la hauteur de son immense mérite ne sera élevé par son mari qui est responsable, par son acharnement sexuel, de la mort le Lucrèce.  

Les personnages

  • Giovanni Sforza : comte de Pesaro premier mari de Lucrèce.
  • Juan Borgia : duc de Gandie, frère aîné de Lucrèce, mystérieusement assassiné à Rome le 14 juin 1497.
  • Rodrigue Borgia : Pape sous le nom d’Alexandre VI, père de Lucrèce.
  • Vannozza Cattanei : maîtresse de Rodrigue, mère le Lucrèce.
  • Julie Farnèse : maîtresse de Rodrigue Borgia.
  • Ferrante d’Aragon : roi du royaume de Naples, père de Sancia et d’Alphonse.
  • Sancia d’Aragon : fille du roi de Naples, femme de Jofré et peut-être amant de son beau-frère, Juan Alphonse d’Aragon, duc de Bisceglie, fils du roi de Naples, deuxième mari de Lucrèce, assassiné en 1500 sur l’ordre de son beau-frère César.
  • César Borgia : fils de Rodrigue et frère de Lucrèce.
  • Pedro Caldès : seigneur espagnol qui fut l’amant de Lucrèce en 1497 et fût assassiné sur l’ordre d’Alexandre VI.
  • Pietro Bembo : né le 20 mai 1470 à Venise, mort le 18 janvier 1547 à Rome, est un cardinal, écrivain d'une famille patricienne de Venise.  Il se distingua dès sa jeunesse par son esprit, et fit ses études dans les grandes cours d'Italie : à Florence, à Ferrare et à Urbino. Élève de Lascaris, il se tourne vers le clergé. Il jouit de la faveur des princes de Ferrare et d'Urbino, ainsi que de celle du pape Léon X et de ses successeurs.

Les enfants de Lucrèce

  • Une fille mort-née, le 5 septembre 1507.
  • Hercule II d'Este (1508-1559) : duc en 1534 8 1528 Renée de France (1510-1575) fille du roi de France Louis XII.
  • Hippolyte d'Este (1509-1572) : cardinal de Ferrare en 1538.
  • Alessandro d'Este (* avril 1514, † 10 juillet 1516).
  • Eleonora d'Este (* 3 juillet 1515, † 15 juillet 1575) : nonne.
  • Francesco d'Este (* 1er novembre 1516, † 22 février 1578) : prince de Massa 8 1540 Maria di Cardona († 1563).
  • Une fille, morte à la naissance le 21 juin 1519.

Les portraits de Lucrèce


Aucun portrait de Lucrèce ne sont venus jusqu’à nous, si ce n’est une miniature.

 

Les détracteurs de cette charmante jeune femme, ont la dent dure et se servent de toutes les semi-vérités pour faire de Lucrèce une femme vicieuse avec des rapports incestueux avec son frère César et son propre père.

 

Comment peut-on colporter de telles ignominies? La jalousie autant que la méconnaissance des intrigues de palais sont les principaux atouts de nos historiens du dix-neuvième siècle qui créèrent le mythe détestable repris encore de nos jours.

 

Rien ne permet non plus d’affirmer que le “portrait de Lucrèce” de Bartolomeo Veneto, ne soit autre chose qu’un fantasme du peintre ou une œuvre de propagande.

 

Bartolomeo a vécu entre 1470 et 1531 et exerça effectivement son petit talent à Ferrare entre 1510 et 1520.


En 1510, Lucrèce a trente ans et meurt en 1519. Il n’est pas sûr que ses convictions religieuses et la jalousie de son mari, l’aient porté à poser de la sorte, alors que la période était puritaine et qu’aucune dame de la noblesse ne se serait permise de se faire représenter ainsi.

            

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Je préfère quant à moi, le merveilleux tableau préraphaélite évoquant la “Vanité” pour illustrer ce que fut cette belle princesse de la renaissance italienne.

 

J'ai découvert cette oeuvre lors d'une magnifique exposition temporaire sur les artistes préraphaélite à Stockholm en avril 2009.

Cette oeuvre de Franck Cadogan Cowper a été réalisée en 1907 et se trouve à la Royal Academy of Arts à Londres.

 

Cette belle jeune femme vient de se parer et se contemple dans un miroir qu'elle tient dans sa main gauche.

Elle a la bouche bien dessinée, son maquillage est léger et discret, sa chevelure blond vénitien est très longue et est soigneusement coiffée.

 

Elle ne doute pas de sa beauté et laisse sa gorge libre de tout bijou. La robe et son corsage ainsi que le bonnet à la turc étaient à la mode au temps de Lucrèce.

 

Pour en savoir plus sur cette belle princesse, il faut lire absolument le très beau livre de Maria Bellonci publié par cette écrivaine italienne en 1939 et qui reçut, pour cet ouvrage, le Prix Viareggio. Il a été réédité en 1983.